COURSE AUX INTÉRÊTS ENTRE LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LES BOULAMA<br>DE N’DJAMENA, QU’Y GAGNE L’ÉTAT ?

RÉSUMÉ À l’instar des autres villes africaines, La gestion foncière à N’Djamena au Tchad ne connaît-il pas une dualité entre pouvoir traditionnel et pouvoir moderne qui constitue un frein à sa bonne marche ou une faiblesse qui la rend lourde ? Cette étude a pour objet d’analyser les incohérences de cette dualité entre les pouvoirs modernes et les intrusions des Boulama, chefs traditionnels ou chef de quartier. La méthodologie de cette étude consiste d’une part, à procéder à la recension des écrits antérieurs sur la thématique; d’autre part, à échanger avec les attributaires de terrains traditionnels, les agents des différents services qui composent la chaîne d’établissement du document de sécurisation de la parcelle qui est le titre foncier pour comprendre la relation conflictuelle qui existe entre l’État, pouvoir régaliens et les Boulama qui sont une relique des chefferies traditionnelles africaines réduits au rang d’auxiliaires de l’administration. Au terme de cette étude, il ressort que les conflits au sujet des doubles attributions ont plusieurs origines au nombre desquels l’on peut citer le cas des Boulama qui vendent un terrain à plusieurs personnes. Des frais versés par les attributaires aux Boulama constituent une déperdition des avantages de l’État tchadien. MOTS CLÉS : Boulama, conflit d’intérêt, État, foncier, N’Djamena. INTRODUCTION Le Tchad n’a pas mis en place un arsenal juridique complet sur le foncier et les textes qui existent, sont loin de résoudre les situations conflictuelles de l’heure. Cette problématique se pose au niveau de l’état, à savoir faut-il continuer à garder cette centralisation de la gestion du foncier ou repartir les compétences entre les collectivités territoriales décentralisées qui sont jusque là immatures. REVUE DE LA LITTÉRATURE La décentralisation, la gestion foncière et les conflits de compétences entre les collectivités territoriales et les chefferies traditionnelles en Afrique ont fait l’objet de nombreuses réflexions pluridisciplinaires. Nous allons en inventorier quelques uns pour circonscrire notre problématique. HOUDEINGAR N. D., (Houdeingar, 2009,) parlant du foncier 1 au Tchad disait que : « L’accès à la terre est depuis des temps immémoriaux une question vitale pour toute société. Les groupes sociaux ont élaboré des règles écrites ou non pour préciser l’usage, le partage et la transmission de ce bien précieux entre tous. Car ce bien ‟sacré‟ est en même temps l’objet de toutes les contestations et conflits ». 1 Richard ERPICUM, Discours d’accueil du Colloque Scientifique de N’Djaména sur La question foncière au Tchad, 28 juin-1 er juillet 2004 in Actes du Colloque, CEFOD-OFT, Septembre 2004, p.10 Mais en Afrique subsaharienne, la gestion de la terre est d’abord l’affaire des chefferies traditionnelles. La situation confuse des chefferies traditionnelle africaines assujetties aux nouveaux pouvoirs publics (Adovi, 1999), est traitée dans un ouvrage intitulé : relation entre autorités traditionnelles et pouvoir public moderne au Togo : repères et limites au développement local. L’auteur y affirme que : Après plus de trois décennies de pouvoir fortement centralisé issu du système colonial et aussi, en partie, des structures anciennes d’États africains préexistant à l’épopée coloniale européenne en Afrique, le concept de décentralisation constitue aujourd’hui une nouvelle vertu à la mode dans les arcanes des modèles d’administration. Et il relève la dualité entre les deux pouvoirs en ces termes : … le dilemme du pouvoir public moderne face au défi de modernisation de l’appareil administratif est de répondre au développement à la base en associant les intérêts locaux et l’intérêt général national. Les états africains ont toujours utilisés les chefferies traditionnelles comme auxiliaire de leur autorité mais dans la gestion du foncier, ils trouvent en ces chefs des adversaires ou plutôt des obstacles. L’agitation des boulama est décrit (OALGUÉ, 2006) dans les transactions foncières au Tchad. Au sujet de l’arrivée de la démocratie et ses effets, au Niger (Mohamadou ,2010), il a été dit qu’elle : a eu pour conséquence le renforcement des chefferies locales (cantonales, villageoises et de groupements), la confirmation du primat de la sédentarité sur la mobilité et la marginalisation des éleveurs qui n’ont eu d’autres choix que de s’inscrire dans une logique de sédentarisation pour « obtenir » des chefferies et des « territoires » communaux. Les droits coutumiers sont soumis à des règles qui montrent bien qu’ils sont considérés comme « provisoires » ou « transitoires ». Le domaine de l’État est défini de manière très large puisque dans la pratique, il inclut, au moins potentiellement, tous les terrains qui ne sont pas appropriés selon les règles du droit écrit. Mais cet amalgame n’est-il pas le fait d’une décentralisation non maitrisée ? Dans « La ville en Afrique2 », Jean Marc ÉLA (Éla, 1983) raconte les situations d’urbanisation des villes africaines avec leurs phénomènes. Celles-ci connaissent une urbanisation très rapide, le cas de Kinshasa, Cotonou, Ouagadougou, Niamey, Abidjan avec ses faubourgs : Adjamé Treichville Cocody étaient des exemples types. Cette croissance fulgurante conduit Jean Marc ÉLA à cette question. Comment peut-on éviter la prolifération de la pauvreté dans les villes ? Cette pauvreté qui pousse les habitants à chercher vaille que vaille à se loger au risque de passer par des moyens peu ordinaires comme c’est le cas avec nos boulama au Tchad. En république du Tchad, la loi n°23 du 22 juillet 1967 portant statut des biens domaniaux dispose en son article premier : « L’ensemble des biens appartenant à l’État prend le nom de domaine national. Le domaine national est composé d’un domaine public et d’un domaine privé. Les personnes morales de droit public subordonnées à l’État et possédant l’autonomie financière peuvent également posséder un domaine public et un domaine privé ».3 Il ressort de cette législation que la puissance publique est la principale bénéficiaire des terres et disposant de droit inaliénable sur toutes les terres. Ce texte, est à priori en vigueur dans les milieux ruraux aussi bien qu’urbains. Par ailleurs, de nombreux services techniques et commissions formellement identifiés par les lois du Tchad, qui, concourent aux fins de produire des terrains en zone urbaine. Néanmoins il est regrettable de constater que ces lois deviennent 2 J. M ELA, la ville en Afrique. Paris, Karthala, 1983, 217p 3Décret n°188/PR du 01 aout 1967, portant l´application de la loi relative au statut des biens domaniaux obsolètes. Les services techniques des cadastres et les différentes commissions en charge d´urbanisation existent formellement mais en réalité sont absentes. Ainsi, on peut dire qu’il y a d’une part une présence formelle de l’État et d’autre part une absence réelle de la puissance publique dans la gestion de l´espace urbain et particulièrement du foncier. Problème de recherche La problématique de la dualité entre pouvoir traditionnel et pouvoir moderne à l’origine entre autre, de la faiblesse et de la lourdeur administrative et des litiges.. Question de recherche À l’instar des autres villes africaines, La gestion foncière à N’Djamena au Tchad ne connaît-il pas une dualité entre pouvoir traditionnel et pouvoir moderne qui constitue un frein à sa bonne marche ou une faiblesse qui la rend lourde ? Hypothèse de recherche La dualité entre pouvoir traditionnel et pouvoir moderne constituerait un frein à sa bonne marche ou une faiblesse qui la rendrait lourde. Objectif de recherche Cette étude a pour objet d’analyser les incohérences de cette dualité entre les pouvoirs modernes et les intrusions des boulama, chefs traditionnels ou chef de quartier. Intérêt de l’étude Cette étude est une contribution à la réflexion sur les conflits de compétence et souvent d’intérêts entre les services de l’États et les auxiliaires que sont les boulama. RÉSULTATS Au terme de cette étude, il ressort que les conflits au sujet des doubles attributions ont plusieurs origines au nombre desquels l’on peut citer le cas des Boulama qui vendent un terrain à plusieurs personnes. Des frais versés par les attributaires aux Boulama constituent une déperdition des avantages de l’État tchadien. L’ÉTAT DE LA DÉCENTRALISATION AU TCHAD Selon un rapport de l’état (la fiche pays N° 22, 2010), L’organisation administrative du territoire a été l’objet, depuis l’Indépendance, d’une série de textes qui ont reconnu aux collectivités locales une autonomie variable. Cependant, depuis la fin des années 1990, comme ailleurs dans le continent, l’heure est à la décentralisation. L’innovation est intervenue en 1996, avec la Constitution du 31 mars 1996 qui a commencé la décentralisation en réorganisant l’Administration du territoire. L’Administration étatique déconcentrée Elle est organisée selon le décret du 28 mai 1999 en deux types d’unités administratives : -D’une part, les régions, placées sous l’autorité d’un gouverneur, et qui sont les unités administratives supérieures de contrôle et de coordination, et qui comprennent plusieurs départements ; les départements, unités administratives publiques de gestion, avec à leur tête un préfet, et qui comprennent des sous-préfectures et des postes administratifs ; les souspréfectures, unités administratives de gestion, sous l’autorité d’un sous-préfet, comprenant les postes administratifs, les cantons et le village ; et les postes administratifs. -D’autre part les cantons et les villages ; qui sont placés sous l’autorité de chefs de cantons et chefs de villages qui sont définis comme étant des « auxiliaires représentants de l’État ». Les sultans perdent cette qualité « au profit du statut d’autorité morale ». Le dispositif décentralisé Il s’appuie sur la Constitution de 1996 en son article 203, qui met en place quatre types de collectivités territoriales : la région, le département, la commune et la communauté rurale. Tableau 1 : Organisation administrative et décentralisation au Tchad Circonscription administrative nb Collectivité locale nb Personnalité morale Autonomie financière Instance délibérante exécutif région non non gouverneur de région région oui oui Conseil régional Président du conseil régional département non préfet département oui assemblée élue Président de l’assemblée Ville de N’Djamena Ville de N’Djamena oui oui Conseil municipal Administrateur Maire nommé par décret commune Commune de plein exercice oui oui Conseil municipal élu Maire élu par le conseil municipal Commune de moyen exercice oui oui Conseil municipal élu Administrateur Maire nommé par décret Source : loi 07/PR/2002, article 34 de la loi de 2000 Dans le tableau ci-dessus (tableau 1), on constate que les responsables dans leur majorité sont nommés et que ceux qui sont censés être élus ne le sont toujours pas. C’est le cas du Maire de N’Djamena qui est toujours nommé par décret même si le conseil municipal semble montré que c’est de de son sein que sort le maire. La capitale a un statu spécifique et même particulier à cause de son énormité. Il s’agit de la non-application des textes. Tableau 2 : Organisation administrative et décentralisation au Tchad (suite et fin) Circonscription administrative nb Collectivité locale nb Personnalité morale Autonomie financière Instance délibérante exécutif Communauté rurale communauté Oui Oui conseil élu Président élu Quartier Non non Chef de quartier nommé Canton Non non Chef de canton nommé Groupement de villages Non non Chef nommé village non non chef de village nommé Source : loi 07/PR/2002, Il faut souligner que la mutation de l’administration territoriale est en cours et les balbutiements ne manquent pas. La gestion de la terre connait des difficultés au Tchad à cause notamment de ces incertitudes qui profitent aux uns et desservent les autres. Une administration plutôt centralisée de la gestion foncière au Tchad La gestion du foncier est extrêmement centralisée. La direction des domaines de l’Enregistrement et de timbre (DDET) qui exerce en même temps sur l’étendue du territoire national s’appuie sur un ensemble des textes rappelons-le dans les années 1960, dont-on peut dire pour les caractériser, qu’ils ne font que prendre les grandes lignes des dispositifs coloniaux antérieurs. Ces textes sont : -La loi N°23 du 22 juillet 1967, portant statuts des biens domaniaux ; -La loi N°24 du 22 juillet 1967, sur le régime de la propriété foncière ; -La loi N°25 du24juillet 1967, sur les limitations des droits fonciers ; -Le décret N°186-PR du 1er Août 1967 sur le régime de la propriété et des droits coutumiers ; -Le décret N° 188-PR-1967 portant application de la loi relative au statut des biens domaniaux. À ce corps de textes principaux, il faudrait ajouter des textes ponctuels, plus spécifiques, mais aussi des éléments de textes datant de la période coloniale, permettant de combler les vides de la législation de 1967 ou de préciser les modalités d’application de celle-ci. C’est le rôle des procédures domaniales qui, selon des modalités spécifiques aux zones urbaines et aux zones rurales, permettent d’y parvenir. La distinction entre zones urbaines et zones rurales repose sur l’article 24 de la loi n° 23 qui définit les terrains urbains comme ceux « situés dans les préfectures et sous-préfectures, les limites de ces centres devant être fixés dans chaque cas par arrêté ministériel, sur avis d’une commission consultative présidée par le préfet ». Dans les deux cas, une mise en valeur, définie par l’acte d’attribution et/ou un éventuel cahier des charges annexe, est la condition préalable à la transformation du droit de l’attributaire provisoire en droit de propriété consacré par un titre foncier. Les droits coutumiers bénéficient d’un régime relativement favorable puisque leur existence est reconnue et qu’ils peuvent être transformés en droits écrits légalement établis, sous réserve d’une certaine procédure permettant une appréciation qualitative de leur réalité. Il faut cependant noter qu’il existe une forte ambiguïté concernant la nature de ces droits fondés sur la permanence de l’occupation et la mise en valeur du terrain par ceux qui revendiquent l’existence desdits droits. En outre, il faut indiquer que la loi n° 25 prévoit dans son article 13 que les terrains ruraux dont l’exploitation a été abandonnée pendant plus de cinq ans sont expropriables de droit. Une réforme foncière était envisagée dans les années 1990, elle a justifié un certain nombre de travaux menés par une commission ad hoc. Ces travaux n’ont jusqu’ici pas abouti. La situation politique au Tchad explique sans doute cet état des choses. L’administration se base sur ces anciens textes non conformes à nos réalités pour gérer le foncier. C’est toujours l’administration centrale qui instruit les procédures domaniales et foncières. Elle reçoit les demande et vérifie formellement les dossiers pour toute suite à donner. Pour la gestion foncière, il existe un livre foncier ou le Directeur des domaines assure en même temps la charge de la conservation foncière. Cette ambiguïté crée une sorte chasse gardée que les autres institutions décrient sans vergogne. Dans la pratique, la direction des domaines éprouve beaucoup de difficultés pour gérer toutes les questions liées au foncier. Ces difficultés sont rendues plus complexes par le fait que le cadastre s’est progressivement transformé en administration concurrente si on peut le dire ainsi, profitant notamment de ses interventions sur les terrains pour implanter des lotissements, délimiter les parcelles et se substituer aux domaines dans l’attribution des terrains ,au mépris des règles légales. Parfois, l’administration elle-même ne donne pas des bons exemples initiant des procédures mais sans tenir compte des textes applicables ou des réalités du concernant, les prix de parcelle par m2 (Cf. tableau 3). La législation nationale en matière foncière date de 1967 calquée sur le modèle Français. L’application de ces textes dits droits positif se heurte non seulement contre les droits coutumiers animistes et musulmans, mais ne sont pas connus de la population. D’un coté, l’État prétend avoir l’exclusivité de la propriété foncière alors que les chefs coutumiers, tel que les chefs de canton ou les sultans en sont les vrais gestionnaires. L’État dispose de l’exclusivité de la propriété foncière selon la législation en vigueur, le législateur ne donne pas lui-même une définition du domaine public et du domaine de l’État mais se contente seulement d’en énumérer les éléments. En réalité, ce n’est pas le cas si nous citons l’exemple des cours d’eaux qui appartiennent aux clans, individus ou familles dans la zone méridionale. La loi 24 du 22 juillet 1967 sur le régime de la propriété foncière et du droit coutumier dit en son article 13 que « toute terre non immatriculée est réputée vacante et sans maitre à moins que ne sois rapportée la preuve du contraire ». L’article 14 ajoute que : « Cette preuve peut résulter de la constatation officielle d’une mise en valeur dont les caractères peuvent varier suivant les régions et les modes d’exploitation du sol. » Cette loi 24 peut entrer en conflit avec les droits coutumiers et islamique ; de même que la loi du 25 juillet 1967 sur la limitation des droits fonciers rend précaire la propriété foncière au regard du droit coutumier ou islamique notamment les titres 1, 2 et 3 sur l’expropriation, de droit commun, l’expropriation des terrains ruraux pour absence de mise en valeur. Un constat de l’immaturité des collectivités territoriales décentralisées (CTD) dans la gestion du foncier La décentralisation est un moyen de mobilisation des synergies locales pour un développement humain durable. Mais encore faudrait-il qu’il y ait la maitrise de l’espace territoriale par les collectivités locales pour créer les conditions nécessaires de l’exercice réel des compétences administratives, politiques, juridiques, et socioéconomiques décentralisées. En principe les collectivités locales doivent disposer librement de la gestion des sols situés à l’intérieur de leur périmètre urbain. Cette compétence en matière foncière et domaniale permettra aux entités administratives décentralisées de disposer des impôts et taxes foncier afin d’assurer le bien-être de leurs citoyens. Mais malheureusement avec l’instabilité politico-sociale qu’a connue le Tchad durant les différents régimes politiques, nos collectivités locales ne sont pas en mesure d’assumer le rôle de la gestion du foncier. Elles n’ont pas les ressources humaines nécessaires pour pouvoir : affecter des droits, avoir la responsabilité à faire appliquer les règles et pouvoir les modifier, pouvoir arbitrer et trancher les conflits. Par ailleurs, pendant des années, la gestion du foncier au Tchad est la cause de nombreux conflits armés dans les campagnes. On peut citer entre autre : les conflits entre agriculteurs et éleveurs, le non respect des couloires de transhumance etc. Tous ces conflits n’ont fait que fragiliser les capacités des collectivités locales à s’autogérer et seul l’État est à même de de gérer le foncier. Des pratiques foncières peu orthodoxes au Tchad Les pratiques foncières sont largement influencées par l’état institutionnel. Si en zone urbaine et périurbaine, on peut constater un emploi relatif des procédures domaniales, il faut dans le même temps retenir que celles-ci ne sont utilisées qu’au démarrage du processus d’accès à la terre. L’essentiel est d’obtenir de l’une des Administrations concernées, très souvent le Cadastre, un premier document, par exemple un reçu, qui atteste que le porteur du papier est bien le « propriétaire » du terrain et qu’il a le droit de le revendre. La demande de parcelles est justifiée par la possibilité de se les procurer, en les revendant dans leur état «brut » pour tirer une petite plus-value, vitale dans un contexte où les ressources sont rares. Ce qui explique aussi que l’implantation des ces parcelles ne soit pas appréciée au regard de leur utilisation potentielle (ce qui serait normal), mais de leur symbolique marchande. Beaucoup de lotissements sont dessinés et ébauchés dans les zones inondables ou au sol impropre à la construction. C’est le cas des argiles noires de l’Est N’Djamena ; après les pluies, les visites de parcelles se font en pirogue et seules les limites en bois ou en briques suffisamment hautes permettent d’identifier les parcelles en discussion ! Il n’en va pas de même dans les zones rurales où le droit écrit demeure une virtualité. L’Administration elle-même ne donne pas forcément le bon exemple, initiant des procédures mais sans tenir compte nécessairement des textes applicables, ne veillant pour ainsi dire jamais au suivi nécessaire. Quand il existe des documents, on notera aussi que la mise à jour régulière des registres et fichiers administratifs, qui est la condition de l’utilité du système, n’est pas non plus entreprise, en dépit des efforts très ponctuels de quelques agents de l’Administration. Enfin, il faut constater que de multiples problèmes naissent de l’ambiguïté des tâches des différents opérateurs, en particulier du Cadastre qui avait eu fortement tendance, ces dernières années, à se considérer comme l’Administration en charge des questions domaniales et surtout (pour ne pas dire exclusivement) des attributions de parcelles, en zone urbaine mais aussi en zone rurale. Des conflits récurrentes, conséquences des pratiques illégales Toujours dans la même logique générale, on constate que la quasi-totalité des conflits liés au foncier se situe plutôt en zone urbaine et périurbaine où ils résultent de l’activité d’un marché foncier illégal ou informel extrêmement actif. Ces litiges, très nombreux (de plus en plus nombreux) apparaissent la plupart du temps comme liés à des transactions couramment fondées sur des pièces administratives incertaines (lettre d’attribution d’une parcelle par le Cadastre, document non validé selon la procédure, etc.). Il en résulte que leur règlement est extrêmement difficile, d’autant plus que les transactions qui en sont à l’origine se sont souvent produites « en cascade ». Cela est particulièrement vrai dans les nouveaux lotissements, comme ceux dits « des fonctionnaires », où les attributaires de parcelles s’empressent, dès qu’ils disposent de la lettre du Cadastre leur confirmant le numéro de la parcelle, de revendre celle-ci après y avoir implanté des bornes en moellons plus visibles que celles de l’Administration. Souvent portés devant les autorités domaniales et cadastrales, parfois administratives (en particulier celles qui sont censées représenter le système traditionnel, chef de village ou de quartier, etc.), ces conflits font d’abord l’objet de procédures plus ou moins officieuses d’arbitrage, avant de venir devant les tribunaux, administratif ou civil selon le cas. Les procédures sont longues, coûteuses, le résultat aléatoire étant rarement fondé sur une stricte application des textes domaniaux et fonciers. Dans le monde rural, les conflits sont relativement classiques, litiges sur des limites de champs, sur l’appropriation de certaines productions végétales, problèmes entre agriculteurs et pasteurs, à une exception près, celle qui concerne les oasis dans la partie nord du pays, où les conflits portent plutôt sur les droits d’eau et les droits de jardinage. Ces conflits à Ndjamena ne sont ils pas causés par l’activisme des boulama ? Et si oui, ne sont ils pas advenus parce que l’administration y a contribué ? Les Boulama : de l’activisme au centre des transactions foncières. Les Boulama sont des auxiliaires de la justice et de l’administration dont l’effectif approche les 700 à N’Djamena. Depuis quelques années quand un village est inséré dans le périmètre urbain alors son chef devient chef de carré ou chef de quartier. L’histoire récente montre qu’autour des années 1990, les Boulamas des nouveaux quartiers non lotis et qui le sont aujourd’hui (Gassi, Boutalbagara, Ambata) participent à l’acquisition de terrain dits traditionnels mais aussi sont la source des conflits d’attributions de terrains. Cet état de fait occasionne d’infinis contentieux entre les habitants de N’Djamena et engourdit principalement les activités régulières du service des cadastres ainsi que de la commission d’attribution de terrains. Par l’intermédiaire des concernés et de certains responsables administratifs ? Face à l’ambiguïté de ces litiges, la justice est souvent prise à partie par les justiciables. Au 7 ème arrondissement municipal de N’Djamena, un Boulama du quartier Atrone et un de ses administrés comparaissent devant un assesseur pour départager deux de leurs présumés clients. Ceux-ci ont acheté la même parcelle de 450mètre carré, située près du collège de l’assomption d’Atrone. L’un des acquéreurs, avance qu’il a acheté le terrain depuis 1993 et le l’autre c.à.d. le deuxième quant à lui argue l’avoir récemment acquis récemment avec le boulama quand bien même le premier aurait déjà entrepris des travaux de, construction sur le site litigieux. Selon M. Hassane Khayar, ancien vice Président du tribunal de 1ère instance de N’Djamena et Président de la 2éme chambre civile, 80 % des contentieux fonciers traités par la justice sont causés par les boulama. Il ajoute que : « Ces litiges fonciers sont devenus flagrants et même banalisés ». Au jour d’aujourd’hui, le service du cadastre qui est un service technique compétent et directement concerné n’arrive plus à s’en sortir. Aujourd’hui les Boulama distribuent les terres comme ils veulent. Il ne serait pas de trop, de montrer un doigt accusateur sur certains agents véreux du service de cadastre qui sont de connivence avec les boulama. Au 1er arrondissement de N’Djamena, notre rencontre avec le greffier, Adèche Mahamat, nous a permis de comprendre que les boulama ne sont pas seulement les auxiliaires de l’administration municipale mais des adversaires de la commune parce que toujours en train de chercher à les doubler ou même à les flouer. Sur les 50 dossiers traités en moyennes par la commune du 1er arrondissement municipal de la capitale tchadienne, plus de 60% concernent les contentieux fonciers et le reste représente, des cas de bagarres(15,68%), les problèmes de succession(7,84%), les problèmes liés aux scènes de ménages(5,88%), les accusations pour sorcelleries(9,80%). Tableau 1. Nature des dossiers enregistrés au tribunal de justice de paix du 1er arrondissement en janvier 2017. N° Types de dossier Quantité % 1 cas de bagarres 8 15,68 2 problèmes de succession 4 7,84 3 scènes de ménages 3 5,88 4 accusations pour sorcelleries 5 9,80 5 litige foncier 31 60,78 6 total 51 100% Source : enquête auprès du greffier, 1er janvier 2017 On se rend compte que les boulama gagnent plus que l’État dans les frais que payent les usagers. Pour preuve, au 1er Arrondissement, il ressort de nous investigations que les boulama prenaient 10% de la valeur de chaque transaction qu’il suivait. Exemple, un terrain de 450m² vendu un usager et qui se trouve sur une rue de 40m bitumé au quartier Farcha Milezi coûterait selon les législations du Tchad, 450m² x10000 FCFA ; ce qui donnerait au terrain un prix de 4 500 000 FCFA. Le Boulama retire de ce montant 10% soit un 450 000 FCFA. La commune prend 5% soit 225 000 FCFA. Le domaine retire 3% de frais d’enrôlement soit 135000 FCFA. Cette opération peut se faire mais l’usager n’est pas sûr d’être attributaire de ce terrain. En effet, un terrain peut être vendu à plusieurs personnes et c’est souvent la cause du conflit entre les usagers, les boulama et l’État. Le scenario que nous venons d’exposer n’est qu’une illustration de la situation symptomatique des conflits fonciers à N’Djamena. Source : enquête de terrain janvier 2017 Carte 1 : ville de N’Djamena et son extension 15,68 7,84 5,88 9,8 60,78 100% 0 10 20 30 40 50 60 70 pourcentage des planites type de plaintes TYPES DE PLAINTES TRAITÉS AU TRIBUNAL DE JUSTICE DE PAIX DU PREMIER ARRONDISSEMENT% Tableau n°3 : prix de terrain pour la ville de N’Djamena Quartiers Bordure voie bitumée/ largeur rue=4om Bordure voie bitumée/largeur rue > 30m Largeur rue≥ 16m et < 30m Largeur rue ≤ 15m Farcha-Milezi (les ilots alphabétisés). 10 000 FCFA 10 000 FCFA 10 000 FCFA Bololo, Djamal bahr, corniche 5 000FCFA 2 000 FCFA 2 000 FCFA 2 000 FCFA Diguel-Est 1 500 FCFA 1 500 FCFA 1 000 FCFA 700 FCFA Mardjan-Djaffack, champ de course, Ambassatna, Gardolé, 1 500 FCFA 1 000 FCFA 1 000 FCFA 1 000 FCFA Leclerc, Repos, Amrikébé, Moursal, Paris-Congo, Chagoua, Djari, DiguelNord… 1 200 FCFA 1 200 FCFA 800 FCFA 600 FCFA Kabalaye, Ardepdjoumal, Farcha(ancien) 1 200 FCFA 1 200 FCFA 800 FCFA 600 FCFA Farcha résidentiel 2 500 FCFA 2 500 FCFA 2 000 FCFA N´gabo résidentiel et autres nouveaux quartiers résidentiels 2000 FCFA 2000 FCFA 1 500 FCFA 1 500 FCFA Farcha industriel nouveau (section 2) 3 000 FCFA 3 000 FCFA 2 500 FCFA 2 500 FCFA Autres quartiers industriels nouveaux 2 000 FCFA 2 000 FCFA 1 500 FCFA 1 500 FCFA Chagoua(Est voie de contournement), Amtoukoui, Abena, Darassalam, 1 000 FCFA 1 000 FCFA 800 FCFA 500 FCFA Atrone, Hillé Houdjadji, Goudji, Amralgoz, Gozator, Amsinéné, Kawas, Walia, Gassi, Ambata, 1 000 FCFA 1 000 FCFA 600 FCFA 300 FCFA Source : Loi no 14/PR/ 2005, portant rectificatif de la loi no 003/PR/2005 du 07 janvier 2005, portant budget général de l´État pour 2005. Le tableau précédent (tableau 3) nous présente les différents prix de terrain par quartier en fonction de la position des parcelles (au bord des rues peu prou importantes). La carte 1 de N’Djamena présente la ville avec ses différents quartiers et arrondissements. Source : enquête de terrain janvier 2017, loi no 14/PR/ 2005. Le prix du m² de la parcelle située sur une rue de 40m dans la ville de N’Djamena est présente dans une figure à titre illustratif (cf. figure 2).il ressort de cette figure que le quartier Milezi au 1er arrondissement a les parcelles les plus couteuses de la ville sur une rue de 40m bitumée (10000fcfa/m²). Les boulama connaissant cette disposition de la loi, l’utilisent pour soutirer de l’argent aux usagers souvent peu informés des textes. Une prise de pouvoir des boulama, une démission de l’État Le pouvoir des boulama n’est pas le fait du hasard mais une conjonction de circonstances favorables à partir des années 2000. Selon M. Zoukalné Patedjoré, ancien responsable du cadastre et de la cartographie, au moins 70000 demandes d’attributions de terrains moisissent au service du cadastre. Les attributions de terrain remontent à 2002. Des travaux de lotissements ont commencés depuis 2005. Ils se poursuivent, cette avec les quartiers tels que Djari Kawas et de Diguel Koudou, Ngueli. Mais il est impossible d’attribuer des parcelles sans heurt. Selon les agents des cadastres qui font les implantations, les terrains prévus pour ces opérations sont souvent le théâtre des affrontements entre les agents de l’État et les occupants de terrain qui les ont achetés de façon « traditionnelle» avec les boulama. Pour éviter ce désagrément la commission d’attribution de terrain en zone urbaine s’est réunie et a envisagé une solution intermédiaire en mettant sur pied une équipe impliquant tous les acteurs et en faisant un inventaire des espaces à lotir avant toute opération. Il s’agit d’identifier les occupants, de répertorier ce qui, malgré tout, est resté inoccupé pour que la commission puisse prendre ses dispositions. Des villages, des ouvrages de toutes sortes naissent spontanément, de nuit, sur des espaces nus, bornés et classés la veille par les agents du cadastre comme étant des domaines de l’État. N´gabo résidentiel et Farcha résidentiel 2 500 FCFA Kabalaye, Ardepdjoumal, Farcha(ancien) 1 200 FCFA 1 200 FCFA Leclerc, Repos, Amrikébé, Moursal, Paris- Congo, Chagoua, Djari, Diguel- Nord… 1 500 FCFA MardjanDjaffack, champ de course, Ambassatna, Diguel-Est Gardolé, 1 500 FCFA Bololo, Djamal bahr, corniche 5 000FCFA Farcha-Milezi (les ilots alphabétisés). 10 000 FCFA figure 2: Prix du m² de parcelle située sur une rue de 40 m /bitumée à N’Djamena Série2 Série1 Au regard de cette situation, le service de cadastre recule aujourd’hui, il ne s’occupe plus que de la régularisation des lotissements et des cas plus récents. Certaines de ces anciennes attributions sont souvent sources de conflits. « Aujourd’hui, un citoyen qui passe par la voie légale, normale, au niveau de la direction du cadastre et qui se voit attribuer un terrain avec dossier et plan cadastral à l’appui, va se rendre compte qu’il y a des personnes tierces à qui le boulama le leur a déjà vendu. Quant à l’État, il abandonne ou lâche du lest pour éviter de recommencer ce qui s’est passé à Diguel 1992. En effet, cette année-là, se souvient Ali Mahamoudi, géographe, chef de canton et Président de l’association des chefferies Traditionnelles du Tchad (ACTT), « La population a refusé les nouvelles dispositions de l’administration. Et cela a entrainé un affrontement se terminant par une mort d’homme. Ce constat d’échec avéré de l’état à travers ses services spécialisés pousse les populations désireuses de parcelles à usage d’habitation à se tourner vers les boulama. Il s’agit d’un « sauve qui peut » qui sonne le glas de l’autorité de l’état. Un pouvoir opportuniste Les éléments qui ont contribué à l’installation des pouvoirs de ces chefs de carré appelé boulama sont nombreux : -La mauvaise compréhension de la démocratie. En effet, le phénomène de boulama est une manifestation récente. Il date des années 1990. Autrefois, il y avait des boulama mais qui ne constituaient pas un frein aux activités de l’État. Mais avec l’avènement de la démocratie et l’usage galvaudé du mot décentralisation, les agents, avec certainement l’appui de quelques autorités communales, pensent que tout doit revenir à la commune. Comme les boulamas font partie de la commune, ils pensent qu’ils devront désormais gérer le foncier dans leur commune. Ils se sont ainsi accordé certains privilèges pour s’ériger en promoteurs du foncier. – Il y a les diverses influences exercées sur les boulamas par des personnalités souvent bien placées. Dans son ouvrage (ADOVI, 1999), intitulé : relation entre autorités traditionnelles et pouvoir public moderne au Togo, il explique le fait qu’ : À la chefferie traditionnelle, il ne reste en fait qu’une attribution politique et, là encore, vidée de tout sens puisque l’ère du parti unique a fait des chefs traditionnels et encore aujourd’hui, bon gré mal gré, des propagandistes de l’ancien Parti-État dont l’une des ailes marchantes fut et demeuré l’Association des chefs traditionnels du Togo. -La lenteur administrative qui rend l’exécution des plans cadastraux complexe. CONCLUSION D’une part les services de cadastres sont en conflits de compétence et d’intérêts avec les communes et le domaine. D’autre part les boulama qui sont des auxiliaires de l’administration municipales ont su tirer profit de la situation parce que frustrés et lésés par le même État qui les utilise sans les valoriser. Les chefferies traditionnelles devraient recevoir des pouvoirs publics un peu plus de considération. S’ils permettent à la commune de retrouver corriger les erreurs des techniciens du cadastres et de témoigner pour rendre justice, c’est qu’ils sont utiles à la société. BIBLIOGRAPHIE Abdoulaye MOHAMADOU : foncier, pouvoirs locaux et décentralisation dans le département de Dakoro(Niger) 21p, Bulletin de l’APAD.31-32, 2010. Ablaye ROASNGAR. T : Guide pratique de la fiscalité immobilière au Tchad. Collection « droit » pour tous, CEFOD, 2012. Ablaye ROASNGAR. T : L´accès ẚ la terre au Tchad. Collection droit pour tous, CEFOD, décembre 2008. ADOVI N’bueke Goch-Akue, relation entre autorités traditionnelles et pouvoir public moderne au Togo : repères et limites au développement local, sciences sociales, Univ du Benin, Lomé (Togo), P7, revue du CAMES, Série B, vol 01, 1999. CEFOD : recueil de textes sur le droit foncier au Tchad. Collection, droit par les textes, 2004. 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COURSE AUX INTÉRÊTS ENTRE LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LES BOULAMA
DE N’DJAMENA, QU’Y GAGNE L’ÉTAT ?